10 septembre : pas de blocage du pays, mais mobilisation d'une partie de la jeunesse
Par Franck Lemarc

Le ministre démissionnaire de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est félicité de la « mise en échec » du blocage du pays, hier soir, tout en reconnaissant que le mouvement a davantage mobilisé que ce qu’escomptait le Renseignement territorial : alors que ce dernier, la semaine dernière, tablait sur 100 000 participants, ce sont 197 000 manifestants qu’ont comptés hier les services du ministère de l’Intérieur.
Mais la stratégie mise en œuvre par Beauvau – à savoir un déploiement particulièrement massif de forces de l’ordre pour empêcher les blocages de s’installer – a été payante : les autoroutes, rocades, gares, centres logistiques visés par les « bloqueurs » ont rapidement été débloqués. On peut néanmoins penser que même sans ce déploiement policier, le nombre de personnes mobilisées lors de cette journée était très largement insuffisant pour réellement bloquer le pays, comme le mouvement en affichait l’ambition. Ce, en particulier, parce qu’il n’y a quasiment pas eu de grève, hier, pas de mobilisation massive des salariés du privé comme du public. Du fait, peut-être, de la très grande tiédeur – pour ne pas dire méfiance – des organisations syndicales vis-à-vis d’un mouvement dont elles n’étaient pas à l’origine, les gros bataillons de salariés sont restés à l’écart d’un mouvement surtout marqué par la présence de jeunes lycéens et étudiants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : celui de 197 000 participants est, par exemple, à comparer à celui de la première manifestation contre la réforme des retraites du 19 janvier 2024, qui avait compté 1,12 million de participants selon le ministère de l’Intérieur.
Une partie de la jeunesse mobilisée
Pour autant, le ministère de l’Intérieur n’a pas forcément raison de crier victoire. Si, en effet, le mouvement n’a pas atteint ses objectifs, il révèle néanmoins une forme d’exaspération dans la jeunesse qui devrait alerter le gouvernement. Les arguments de l’exécutif, consistant à dénoncer la main « de l’extrême gauche et de l’ultra gauche » derrière un mouvement qui a été, en plusieurs endroits, marqué par des violences et des dégradations, ne suffisent pas pour expliquer la mobilisation souvent assez massive de jeunes dont tous, loin de là, ne sont pas des « casseurs ».
D’ailleurs, le nombre de rassemblements et de manifestations décompté par le ministère de l’Intérieur est plus de deux fois supérieur au nombre « d’actions de blocage » (596 contre 253), ce qui signifie que, malgré la volonté affichée du mouvement de « tout bloquer », de nombreux participants avaient plus classiquement envie de défiler pour exprimer une colère, une exaspération parfois diffuse, à la fois sur la situation politique bloquée, la dégradation des conditions de vie et d’enseignement, la crise climatique, la montée de l’extrême droite ou les risques de guerre – autant de thèmes mentionnés dans les slogans et sur les panneaux brandis par les manifestants. Beaucoup d’entre eux exprimaient une forme de dégoût de la politique et de désillusion sur la possibilité de voir les choses évoluer par la voie électorale – ce qui n’a rien de surprenant au vu de la situation politique du pays. Mais la revendication la plus largement partagée au sein des cortèges reste le départ d’Emmanuel Macron. Si le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a été la cible de bien des quolibets, c’est bien le chef de l’État qui reste le point de cristallisation de l’exaspération.
Des violences relativement contenues
La journée a été également marquée par des tensions entre forces de l’ordre et manifestants, avec un bilan final de 521 interpellations et, dans quelques grandes villes, des feux de poubelle et des dégradations de mobilier urbain. Mais il n’a guère été constaté, comme lors de certaines manifestations récentes, de destructions massives de commerces – bris de vitrines, pillages ou incendies.
Il reste à savoir si cette journée a été l’expression éphémère du ras-le-bol d’une partie – minoritaire – de la jeunesse du pays ou, au contraire, le début d’un mouvement de contestation plus profond. Et par ailleurs, si cette ébullition d’une partie de la jeunesse peut s’agréger avec le mouvement social – ce qui serait plus inquiétant pour le gouvernement. La réponse à ces questions viendra les jours prochains – plusieurs manifestations se sont conclues, hier, par la décision de manifester à nouveau aujourd’hui – et surtout la semaine prochaine, le jeudi 18 septembre, où ce sont cette fois toutes les organisations syndicales qui ont appelé à la grève.
Consultations
D’ici là, une actualité politique plus classique va reprendre le devant de la scène, avec la suite des « consultations » menées par le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, avec les forces politiques présentes à l’Assemblée. L’autre actualité de la journée d’hier, la passation de pouvoir entre François Bayrou et Sébastien Lecornu, est un peu passée inaperçue au milieu des manifestations, mais on aura noté la volonté du nouveau Premier ministre de « rompre », « pas seulement sur la forme » mais « aussi sur le fond », avec la politique de son prédécesseur. Sébastien Lecornu, pourtant connu pour être plutôt rond et conciliateur, s’est montré assez humiliant avec François Bayrou en lui assénant, dans la cour de Matignon et devant toute la presse, qu’il allait falloir désormais être « plus créatif » et « plus sérieux » dans la façon de travailler.
Dans l’après-midi, l’ancien maire de Vernon s’est entretenu avec les responsables du « socle commun » (Renaissance, Horizons, MoDem et LR). Ce matin, il reçoit la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, avant les chefs des oppositions. Avec un objectif : tenter de mettre tout le monde d’accord sinon sur une participation au gouvernement, du moins sur un contrat de « non-censure » lors de la discussion budgétaire. Ce qui risque de s’avérer un exercice particulièrement difficile : la France insoumise a d’ores et déjà annoncé hier déposer sa première motion de censure, tandis que Jordan Bardella, pour le RN, a déclaré hier : « Soit il y aura rupture, soit il y aura censure. »
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Ce que contient le projet de loi sur l'extension des prérogatives des polices municipales
Crise du logement : deux nouveaux rapports préconisent d'accélérer la transformation de bureaux
Aliments ultra transformés : la gangrène alimentaire qui menace la santé des enfants
Plus de 2 millions de jeunes en situation de handicap en France








