Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 10 décembre 2020
Laïcité

« Séparatismes » : le gouvernement recule sur l'élargissement des pouvoirs des préfets

Décrié par le Conseil national d'évaluation des normes (Cnen) et éreinté par le Conseil d'Etat, le système de « déféré-suspension », qui prévoyait d'attribuer dans certaines situations aux préfets d'importants pouvoirs aux dépens des communes, n'apparaît plus dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Présenté 115 ans jour pour jour après la promulgation de la loi de 1905, il sera soumis au Parlement début 2021.
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© Capture d'écran France 24

Confirmation : le gouvernement rétropédale. Il y a quelques jours encore, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, censé combattre les « séparatismes », permettait qu’en cas de « grave atteinte au principe de neutralité d’un service public »  - mise en place d’horaires différenciés dans les équipements municipaux ou l’instauration de menus communautaires à la cantine - le préfet puisse demander la suspension immédiate d’un acte pris par une collectivité. La décision du préfet aurait été soumise au juge administratif qui aurait eu 30 jours pour se prononcer, faute de quoi l’acte suspendu redeviendrait exécutoire : c’est ce que l’on appelle le « déféré-suspension ». 

Un « déféré laïcité »  plus souple

C’était sans compter l’avis du Conseil d’Etat. Rendu public cette semaine (lire Maire info du 8 décembre), il a quelque peu changé la donne puisque la plus haute juridiction du pays proposait de remplacer le système de « déféré-suspension »  par la procédure de « déféré-accéléré », permettant à un juge, et non à un préfet, de statuer dans les 48 heures. Le gouvernement est donc revenu sur sa disposition initiale et opté pour la création d’un « déféré-laïcité »  adossé au « déféré-liberté »  déjà existant. Comme le préconisait le Conseil d’Etat, le juge sera chargé de suspendre ou non la décision de la collectivité mise en cause par le préfet dans un délai de 48 heures.

« Un délit de pression séparatiste » 

Un chapitre entier du texte est consacré aux services publics. Il vise « aussi bien à assurer le respect du principe de neutralité par les organismes de droit privé chargés d’une mission de service public que pour prémunir les agents publics contre toutes les tentatives d’intimidation, menaces ou violences de la part de ceux qui ne veulent pas respecter les règles du service public ». Ainsi, pour protéger les élus et les agents, l’article 4 « crée une nouvelle infraction pénale (un délit de pression séparatiste, comme l’appelle Matignon) afin de mieux protéger les agents chargés du service public en sanctionnant les menaces, les violences ou tout acte d’intimidation exercés à leur encontre dans le but de se soustraire aux règles régissant le fonctionnement d’un service public », écrit le gouvernement dans l’exposé des motifs. « Le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service »  est désormais puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. 
« On parle souvent des élus à portée d’engueulade, mais au quotidien, dans le service rendu, ce sont les agents qui sont au front. Ils peuvent se retrouver démunis face à l’agressivité de certains usagers, une attitude hostile, une pression… et le fait de savoir qu’ils ont la loi de leur côté, avec à la clé des peines lourdes, est important », acquiesce Gilles Platret, maire Les Républicains de Châlon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et co-président du groupe « laïcité »  à l’AMF, dans une interview à La Gazette des communes.
Dans la même veine, « l’article 5 étend le dispositif de signalement à la disposition des agents publics qui s’estiment victimes d'un acte de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d’agissements sexistes ».

« Un contrat d’engagement républicain »  pour les associations

Dans un autre chapitre, l’encadrement des subventions attribuées par les collectivités aux associations va être renforcé. L’objectif est de « s’assurer que ces moyens mis librement à leur disposition soient employés dans le respect des principes républicains que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, le respect de la dignité de la personne humaine et la sauvegarde de l’ordre public, qui seront déclinés dans un contrat d’engagement républicain ». Ainsi, toute demande de subvention devra désormais « faire l’objet d’un engagement de l’association à respecter ces principes ». « La violation de cet engagement a pour conséquence la restitution de la subvention, selon des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat ».
La scolarisation à domicile, elle, reste finalement autorisée sous conditions alors qu'Emmanuel Macron souhaitait l'interdire purement et simplement : « il ne pourra être dérogé à cette obligation de fréquenter un établissement d’enseignement public ou privé que sur autorisation délivrée par les services académiques, pour des motifs tirés de la situation de l’enfant et définis par la loi », précise l’article 21.

« Pas un texte contre les religions » 

Hier, le Premier ministre Jean Castex a déclaré que ce texte, accusé de stigmatiser les musulmans, n'était pas « contre les religions » mais contre « l'idéologie pernicieuse » de « l'islamisme radical ». La loi permettra, en effet, un contrôle accru du fonctionnement et du financement des associations, dont les plus controversées ont d'ores et déjà été dissoutes ces dernières semaines (CCIF, BarakaCity), ainsi que des lieux de culte. Le gouvernement a, par ailleurs, lancé des opérations contre des dizaines de mosquées « soupçonnées de séparatisme ».
Le texte veut aussi renforcer la lutte contre les mariages forcés, la polygamie sera un motif de retrait ou refus du titre de séjour et les certificats de virginité seront interdits. Il promet, enfin, de « renforcer l’effectivité des mesures judicaires prises contre des sites qui relaient des contenus illicites, en créant un délit de mise en danger de la vie d’autrui par divulgation d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne et en rendant applicables les procédures accélérées pour les délits de provocation afin d’apporter une réponse rapide contre ces agissements. » Le volet égalité des chances, évoqué par Emmanuel Macron aux Mureaux le 2 octobre a, quant à lui, bien disparu. Tout comme les articles 27 et 28 sur le logement social. L'AdCF, l'AMF et France urbaine, toutes trois opposées à l'interventionnisme du gouvernement sur la question, se réjouissent, aujourd'hui dans un communiqué, d'avoir été entendues.

Ludovic Galtier

Télécharger le projet de loi.
Télécharger l’exposé des motifs.

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