Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 2 novembre 2022
Politique de l'eau

« Méga-bassines » : comprendre le débat

L'actualité du long week-end de la Toussaint a été principalement occupée par les manifestations contre les retenues d'eau dans les Deux-Sèvres. Mais au-delà des sorties médiatiques et des outrages verbaux dans les deux camps, que sont ces « bassines » qui font l'objet de tous  les débats ? Sont-elles sans effet sur l'environnement ou, au contraire, nocives ? Les scientifiques ne sont pas d'accord. 

Par Franck Lemarc

1 700 gendarmes d’un côté, 4 000 à 5 000 manifestants de l’autre. Toute la journée de samedi, des affrontements violents ont eu lieu dans les champs de la commune de Sainte-Soline(Deux-Sèvres), les forces de l’ordre essayant d’empêcher les manifestants d’accéder au chantier d’une « réserve de substitution », le nom officiel de ce que l’on appelle les « méga-bassines ». Au-delà des affrontements et de la volonté du gouvernement d’éviter à tout prix l’installation d’une ZAD, le week-end a été émaillé de multiples polémiques – dissensions entre les différents courants écologistes, députés critiquant l’usage de la force à leur égard, propos du ministre de l’Intérieur qualifiant les manifestants violents « d’éco-terroristes ». 

Reste à comprendre ce qui fait débat dans l’installation de ces réserves d’eau. 

Projet redimensionné

Les « réserves de substitution »  sont des réservoirs d’eau, d’une surface de plusieurs hectares, permettant de stocker de l’eau pendant la période hivernale afin de disposer de réserves pour l’agriculture pendant les périodes de sécheresse. Objectif : diminuer les prélèvements dans les nappes phréatiques l’été. 

La « méga-bassine »  de Sainte-Soline, par exemple, s’étend sur une surface de 10 hectares et est destinée à stocker quelque 720 000 mètres cubes d’eau. Le chantier s’intègre dans un projet bien plus vaste, porté par un collectif de 400 agriculteurs (La Coop de l’eau), et qui comprendra à terme 16 réservoirs. 

Ce projet a fait l’objet d’une longue concertation, et d’un recours devant le tribunal administratif de Poitiers. Deux arrêtés préfectoraux ont autorisé la construction de ces réserves, le premier, en 2017, en autorisant 19 et le second, en 2020, ramenant ce nombre à 16. Ces deux arrêtés, attaqués devant le tribunal administratif, ont été partiellement validés par celui-ci, mais le tribunal a demandé que, pour 9 retenues sur 16, le volume des prélèvements soit revu à la baisse. Une fois le projet redimensionné, en 2021, selon les demandes du juge administratif, le Bureau de recherches géologiques et minières a été consulté, et son rapport, concluant à une faible incidence des bassines sur le niveau des nappes phréatiques, a permis que les chantiers soient définitivement autorisés.

« Non-sens » 

Car c’est bien la question du niveau des nappes qui est au centre des polémiques. 

En effet, ces retenues d’eau ne sont pas destinées à être remplies par les eaux de pluie, mais par prélèvement sur les nappes phréatiques. D’où la colère des associations écologistes, qui estiment qu’il s’agit d’un « accaparement de l’eau par l’agro-industrie »  (Greenpeace). Un certain nombre d’élus, il faut le noter, ne sont guère enthousiastes non plus sur ces projets : témoin ceux du Grand Poitiers, qui ont majoritairement voté, mi-octobre, contre un projet similaire sur le bassin du Clain. 

Autre critique contre ces réserves de substitution : le fait qu’elles soient en surface les soumet au phénomène d’évaporation, contrairement à l’eau stockée dans les nappes. C’est le point de vue que défend, notamment, le scientifique Christian Amblard, spécialiste du cycle de l’eau et directeur de recherche au CNRS, qui parle de « non-sens »  à propos des retenues d’eau en surface, dans la mesure où l’évaporation fera perdre « entre 20 et 60 % »  de l’eau stockée. Le scientifique préconise, au contraire, de favoriser l’infiltration de l’eau dans les sols, en luttant contre l’artificialisation et surtout en multipliant les zones humides pour stocker l’eau de manière bien plus efficace. 

Rôle de régulation de l’État 

Mais les bassines ont aussi leurs défenseurs dans les milieux scientifiques. Selon le BRGM, qui a rendu un long rapport de près de 150 pages sur ce sujet, les impacts sur les nappes phréatiques des différents projets dans les Deux-Sèvres sont « négligeables ». En effet, les nappes dans lesquelles l’eau est pompée sont des nappes de faible profondeur, susceptibles d’être remplies très rapidement en cas de pluie, contrairement aux nappes dites « captives », en profondeur. 

Et les défenseurs du projet rappellent que le remplissage des bassines sera autorisé, ou non, par l’État, au cas par cas, en fonction de la pluviométrie : si le niveau des nappes phréatiques et des cours d’eau est trop bas, en dessous d’un seuil défini dans l’autorisation environnementale, les prélèvements permettant le remplissage des bassines ne seront pas autorisés. La question est donc de savoir si l’on choisit de faire confiance aux autorités de l’État dans ce domaine – ce qui n’est pas le cas des différents collectifs anti-bassines, qui accusent précisément l’État de ne pas tenir compte du niveau des nappes pour satisfaire les agriculteurs. 

Se pose enfin, au-delà de l'impact sur les nappes, la question de la destination de ces ouvrages, que leurs opposants accusent de ne servir que « l'agro-industrie »  au détriment d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Les opposants ont notamment fustigé le fait que les bassines des Deux-Sèvres vont essentiellement servir à des exploitations « qui n'ont pas renoncé aux pesticides ». Là où ces installations existent déjà, les agriculteurs s'étaient d'ailleurs engagés à améliorer leurs pratiques en matière d'environnement. Ce qui n'a pas toujours été respecté, loin de là.

Les points de vue semblent irréconciliables. Il semble, dans ces circonstances, que seul le retour d’expérience permettra de trancher entre ces différents avis. Car du côté du gouvernement, il paraît n’y avoir guère de doute : les bassines se feront, quitte à mettre des moyens de maintien de l’ordre extrêmement importants pour empêcher les opposants de ralentir les travaux. L’exemple de Notre-Dame-des-Landes ne se reproduira pas, a semblé dire, en filigrane, Gérald Darmanin tout le week-end. 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2