Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 13 mai 2025
Élections

Scrutin de liste paritaire dans les petites communes : les arguments des adversaires du texte devant le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel va se prononcer de façon imminente sur la conformité à la Constitution de la loi instaurant le scrutin de liste paritaire dans les communes de moins de 1 000 habitants. Mais quels sont les arguments des parlementaires qui ont saisi les Sages ? Tour d'horizon. 

Par Franck Lemarc

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© D.R.

Le lundi 7 avril, un ultime vote à l’Assemblée nationale a permis l’adoption définitive de la loi « visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité » . Ce texte, extrêmement important pour les 24 734 communes de moins de 1 000 habitants du pays, vise à instaurer dans ces communes les mêmes règles que pour les autres lors des élections municipales : ce serait la fin du scrutin plurinominal à deux tours avec possibilité de panachage, et l’instauration du scrutin proportionnel à deux tours, avec listes paritaires. 

Avant d’être certain que cette réforme sera mise en œuvre dès les élections municipales de l’an prochain, il faut que la loi adoptée soit promulguée et pour cela, il faut qu’elle soit validée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet fait l’objet de trois saisines différentes : une du Premier ministre, une des députés du RN et une des sénateurs LR. 

Les arguments du RN

Le Premier ministre a transmis le texte au Conseil constitutionnel en lui demandant simplement, sans autres arguments, de « se prononcer sur la conformité de ce texte à la Constitution ». 

En revanche, les groupes de députés et de sénateurs qui ont eux aussi saisi les Sages ont longuement argumenté leur saisine.

Du côté des députés, c’est le Rassemblement national qui a saisi le Conseil constitutionnel. Dans un mémoire d’une dizaine de pages, le groupe présidé par Marine Le Pen estime que l’article 1er de la loi, qui met fin au scrutin majoritaire plurinominal dans les communes de moins de 1 000 habitants, est pour de multiples raisons « contraire à la Constitution ». Sans détailler tous les arguments du RN, on peut en citer quelques-uns. Premièrement, le RN estime que ce texte méconnaît « le droit d’éligibilité » , puisqu’il interdirait, par exemple, les candidatures isolées. Par ailleurs, ces députés pensent que ce texte méconnait le principe de « préservation de la liberté de l’électeur », dans la mesure où dans de nombreuses petites communes, il n’y aura qu’une seule liste, ce qui conduira les électeurs à « être privés de choix électoral » . On remarquera à ce sujet que l’existence d’une liste unique existe déjà dans bien des communes de plus de 1 000 habitants, ce qui n’empêche nullement les électeurs de s’abstenir ou de voter blanc ou nul. 

De même, le RN juge que l’existence de listes uniques dans « de nombreuses communes »  fera obstacle au secret du vote : puisqu’il n’y aura alors qu’un seul bulletin de vote, un électeur se rendant à l’isoloir « révèlera la nature de son vote », argue le RN, qui semble oublier là encore la possibilité de voter blanc ou nul. 

Autre argument des députés RN : ce texte porterait atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, qui suppose que celles-ci soient dirigées par « un conseil élu » . Or, plaident ces députés, les dispositions de cette loi risquent d’aboutir, dans un certain nombre de communes, à l’impossibilité de constituer une liste. Ils en tirent la conclusion que cette absence de conseil élu conduirait à la « suppression autoritaire »  de communes par l’État, au motif qu’elles n’auraient pas élu de conseil municipal. On ignore sur quel article de loi s’appuient les députés RN pour imaginer cette solution : à notre connaissance, aucune loi ne permet à l’état de « dissoudre »  une commune au motif qu’elle n’a pas de conseil municipal. La loi prévoit simplement, dans ce cas, que le préfet nomme une « délégation spéciale »  de trois membres chargée de gérer les affaires courantes (article L2121-35 du CGCT).

Les arguments des sénateurs

Côté Sénat, c’est un groupe transpartisan composé de parlementaires LR, centristes, Indépendants (dont Horizons) et PCF – ce qui est assez inhabituel – qui a saisi les Sages via un mémoire de 37 pages, avec des arguments qui, de manière générale, apparaissent juridiquement plus consistants que ceux du RN. 

Toute une partie de l’argumentation des sénateurs repose, d’abord, sur les conditions d’adoption de ce texte : ils estiment que cette adoption, à l’Assemblée nationale, a été marquée par « de multiples manquements aux règles de procédure applicables »  – ce qui suffit, d’après eux, à rendre ce texte « inconstitutionnel dans son ensemble », pour cause de « violation du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires ». Rappelons que la dernière séance qui a conduit à l’adoption de ce texte s’est déroulée dans des conditions chaotiques, rapportées en détail par Maire info dans son édition du 8 avril, avec notamment l’utilisation  par le gouvernement de son droit à demander une seconde délibération sur la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Les sénateurs LR estiment notamment que cette demande a été faite de façon irrégulière.

Sur le fond, les sénateurs auteurs de la saisine jugent, eux aussi, que ce texte met à mal le principe de libre administration des collectivités territoriales. D’une part, parce que ces dispositions interviennent à une date trop rapprochée du scrutin (moins d’un an) ; d’autre part, parce que l’application du principe de parité « peut se révéler être impossible pour les très petites communes », qui ne pourraient alors élire un conseil municipal. Rappelons toutefois, sur la question de l'adoption tardive de la loi, qu'une situation similaire s'était produite en 2013 au moment de l'adoption de la loi imposant la parité aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants. La loi avait été promulguée le 17 mai 2013, soit dix mois avant les municipales de 2014, sans que le Conseil constitutionnel y trouve rien à redire. 

Par ailleurs, ces sénateurs estiment que l’existence de « règles électorales distinctes pour les petites communes »  doit être élevée au rang de « principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Ce texte, qui supprime un régime électoral distinct pour les communes de moins de 1 000 habitants, porterait donc atteinte à ce « principe fondamental » , ce qui doit conduire à sa censure, jugent les sénateurs LR. L’argument semble, toutefois, difficilement recevable, dans la mesure où pour toutes les autres élections, le mode de scrutin est le même quelle que soit la taille de la commune. 

Il est à noter que ni du côté du Sénat ni de celui de l’Assemblée nationale, les parlementaires n’ont invoqué la possibilité de « cavaliers législatifs »  dans ce texte. Pourtant, l’avant-dernier article du texte, qui concerne le fonctionnement du conseil municipal dans les communes nouvelles, pourrait être considéré comme n’ayant « pas de lien, même indirect » , avec l’objet de la loi – qui vise à « harmoniser le mode de scrutin »  dans toutes les communes du pays. Même si cet argument n’a pas été utilisé par les parlementaires, il reviendra aux Sages d’en juger, puisque le gouvernement leur a demandé de se prononcer sur l’ensemble de la loi. 

Reste à attendre la décision du Conseil constitutionnel, qui est forcément imminente, même si aucune date de lecture de la décision ne figure encore sur le site du Conseil constitutionnel. Mais les Sages, garants de la Constitution, ne sauraient naturellement manquer aux règles fixées par celles-ci : l’article 61 de la Constitution dispose que lorsque le Conseil constitutionnel est saisi, il a un mois pour statuer. Or la saisine du gouvernement et celle des députés RN ont été déposées le 15 avril (celle des sénateurs le 2 mai). Sur les deux premières saisines, les Sages doivent donc se prononcer au plus tard après-demain, le jeudi 15 mai. 

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