Le vote par correspondance pour les détenus ne sera plus possible pour les élections locales
Par Franck Lemarc
Comment remédier à la trop faible participation des personnes détenues à la vie électorale, sans pour autant risque de bouleverser les équilibres démocratiques locaux ? C’est la question à laquelle entendait répondre la sénatrice Laure Darcos (LR) avec sa proposition de loi « relative au vote par correspondance des personnes détenues ».
Effets de bord de la loi Lecornu
Pour mémoire, il n’a longtemps existé que deux possibilités pour les détenus de participer à une élection : le vote par procuration et l’autorisation de sortie. La deuxième solution n’étant que très exceptionnellement accordée, il ne restait que le vote par procuration, lui aussi peu utilisé du fait, notamment, de l’isolement d’un grand nombre de détenus et de la lourdeur des procédures. Résultat : la participation des détenus aux élections a longtemps oscillé autour des 2 %.
En 2019, la loi Lecornu a changé la donne en instaurant le vote par correspondance pour les personnes emprisonnées. Si l’expression de « vote par correspondance » est couramment utilisée, il s’agit d’une facilité de langage, parce qu’on ne parle pas ici d’un envoi de bulletin de vote sous pli fermé. En fait, chaque prison organise un vote à l’urne ; l’urne est ensuite scellée et remise par le directeur de la prison au bureau de vote communal auquel est rattaché l’établissement pénitentiaire. La loi a fixé par principe que ce bureau devait être située dans la commune chef-lieu du département où se situe la prison.
C’est ici que le bât blesse. Si ces dispositions ont eu pour effet une forte augmentation du taux de participation des détenus, qui tourne autour de 20 % depuis cette loi, le dispositif a un défaut pour ce qui concerne les élections locales : ce système fait participer à l’élection, dans une commune, plusieurs centaines de personnes n’ayant, en réalité, aucune attache avec la commune. Versailles, par exemple, étant le chef-lieu des Yvelines, les détenus des prisons de Bois-d’Arcy et de Poissy y votent, ce qui représente plus de 1 000 inscrits supplémentaires. Dans une élection municipale, qui peut parfois se jouer à quelques centaines de voix près, cet apport de voix sans lien avec la commune est problématique, comme l’a pointé, notamment, le Conseil d’État.
Pour pallier ce problème, la proposition de loi initiale de Laure Darcos prévoyait que les votes par correspondance ne soient plus comptabilisés dans la commune chef-lieu de département de la prison, mais dans la commune de résidence du détenu avant son incarcération, ou celle d’un membre de sa famille.
Mais en séance, ce texte a été largement amendé et a changé de nature : les sénateurs ont plutôt décidé de restreindre ce droit de vote par correspondance aux seules élections dans lesquelles il n’y a qu’une circonscription dans tout le pays, à savoir les élections présidentielle et européennes et les référendums. Dans ce cas, les bulletins de vote étant comptabilisés nationalement, le problème ne se pose pas.
Pour les scrutins locaux, le texte adopté au Sénat propose de revenir aux deux seules possibilités antérieures – l’autorisation de sortie et le vote par procuration. Pour élargir l’usage de ce vote par procuration, il est proposé d’élargir la liste des communes dans lesquelles les détenus peuvent être inscrits en y ajoutant la commune de résidence de leurs descendants.
Un texte entièrement transformé en commission
Arrivé à l’Assemblée nationale, ce texte a été examiné le 28 mai par la commission des lois, où il a fait l’objet d’une vive opposition d’un certain nombre de députés. Les socialistes, les écologistes et les membres du groupe Liot ont demandé à revenir à la version initiale de Laure Darcos (comptabilisation des votes par correspondance dans la commune de résidence du détenu avant son incarcération), dénonçant le dispositif adopté par le Sénat comme « un recul des droits civiques des personnes détenues » (Paul Molac, Liot). Les députés PCF et LFI se sont, eux, opposés à tout aménagement du droit de vote par correspondance, qui a permis de « décupler le taux de participation des détenus ».
Au final, le texte adopté par la commission des lois n’avait plus rien à voir ni avec celui de Laure Darcos ni avec celui adopté par le Sénat en séance : l’article unique de ce texte a été supprimé, et un nouvel article, proposé par La France insoumise, a été adopté, instaurant « un véritable bureau de vote physique » dans chaque prison. Un autre amendement, issu des écologistes, a été adopté en commission, étendant « à toutes les personnes détenues » le droit à la permission de sortie pour aller voter, « quelle que soit leur situation pénale, sauf en cas de risque de trouble grave à l’ordre public ».
Retour à la case Sénat
Arrivé hier en séance, ce texte entièrement détricoté a fait l’objet des mêmes débats qu’en commission, mais avec un rapport de force différent. Le bloc central et Les Républicains ont défendu le retour au texte voté par le Sénat, et l’ont obtenu malgré l’opposition de la gauche et de Liot. Représentant le gouvernement, le ministre auprès du ministre de l’Intérieur, François-Noël Buffet, a lui aussi défendu cette position, estimant que la position choisie par le Sénat permet de « conserver les grands acquis de la loi de 2019 » tout en « gommant ses effets de bord négatifs ».
Une majorité de député a suivi cet avis et le texte du Sénat a été rétabli tel quel : les amendements adoptés en commission ont été supprimés et l’on revient au dispositif du Sénat, à savoir que le vote par correspondance, avec centralisation des votes dans la commune chef-lieu du département, sera réservé aux élections présidentielle et européennes et aux référendums. Pour toutes les autres élections, les détenus ne pourront voter que par procuration ou avec une autorisation de sortie.
Le texte ayant été adopté « conforme », c’est-à-dire strictement identique à la version sortie du Sénat, il est maintenant définitivement adopté. Il sera donc rapidement promulgué et entrera en vigueur dès les prochaines élections municipales.
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