Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 3 février 2020
Élections

La circulaire Castaner sur le nuançage d'office suspendue par le Conseil d'État

Le Conseil d’État a rendu vendredi une décision très attendue sur la circulaire publiée par le ministre de l’Intérieur relative au nuançage des candidats et des listes pour les prochaines élections municipales. Le verdict est clair : l’exécution de la circulaire est suspendue sur ses points les plus litigieux. 
Cette décision fait suite aux requêtes déposées par plusieurs parlementaires et partis de l’opposition. 
Rappelons brièvement de quoi il s’agit : lors du dépôt des listes aux élections, les candidats peuvent, ou non, déclarer une « étiquette politique ». Par ailleurs, les préfets doivent attribuer d’office à chaque liste et à chaque élu une « nuance politique »  à partir d’une grille fixée par le ministère de l’Intérieur. La circulaire en question, en premier lieu, avait pour objectif de délivrer cette nouvelle grille, intégrant en particulier des tendances politiques nouvelles telles que « gilets jaunes »  ou « animaliste ». Par ailleurs, comme le gouvernement l’avait annoncé devant le Parlement pendant l’examen du projet de loi Engagement et proximité, Christophe Castaner demandait aux préfets de ne plus procéder au nuançage d’office des candidats que dans les communes de plus de 9000 habitants et les chefs-lieux d’arrondissement – le seuil était à 1000 habitants en 2014.
Devant le Conseil d’État, les parlementaires de l’opposition ont plaidé le fait que cette disposition « portait atteinte à la sincérité du scrutin », portait « une atteinte grave et manifestement illégale au principe de pluralisme des courants d’idées »  et « au droit à une information objective ».  
Une autre disposition glissée dans cette circulaire a provoqué l’incompréhension de nombreux parlementaire – et de l’AMF, qui l’avait exprimée dans un communiqué du 22 janvier : il s’agit de la possibilité donnée aux préfets d’attribuer la nuance « LDVC »  (listes divers centre) à des listes qui seraient « soutenues », et non investies, par La République en marche, le MoDem ou l’UDI. Aucune autre tendance politique ne bénéficiait, dans la circulaire, de cette facilité, ce qui, soulevaient l’opposition et l’AMF dans son communiqué, « pose un problème d’égalité de traitement entre les candidats ». 

« Rupture d’égalité » 
Dans sa décision, le Conseil d’État rappelle que la finalité de l’attribution d’une nuance aux candidats, par les préfets, est notamment de procéder à « la centralisation des résultats de chaque tour du scrutin, leur conservation et leur diffusion »  (décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014). Le nuançage doit permettre « aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales »  ; relève le Conseil d’État. Or, poursuit-il, la fixation d’un seuil plancher supérieur à 1000 habitants « ne saurait être retenu s’il est manifestement de nature à compromettre (ces) objectifs ». Le Conseil d’État estime que le seuil de 9 000 habitants « exclut de la présentation nationale des résultats des élections municipales les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs ». « Le seuil retenu a pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40 % du corps électoral ». 
Il est rappelé que la circulaire elle-même évoque la nécessité d’analyser les résultats « sans altérer même en partie le sens du scrutin »  – mais que le seuil retenu entre en contradiction avec cette volonté affichée. Cela crée, selon le Conseil d’État, « un doute sérieux »  sur la légalité de la circulaire.
La nuance « LDVC »  et, surtout, son mode d’attribution, ont également été refusés par les magistrats du Conseil d’État : « En principe, seule l’investiture par un parti et non son simple soutien permet d’attribuer une nuance politique à une liste. » Mais la circulaire « fait une exception pour les seules listes qui seraient soutenues par les partis LaREM, MoDem et UDI ». En revanche, « le soutien d’un parti de gauche ou d’un parti de droite ne permet pas, aux termes de la circulaire, de prendre en compte ses résultats au titre des nuances divers gauche ou divers droite ». Ces dispositions sont donc « contraires au principe d’égalité »  et remettent en cause la légalité de la circulaire. 
Notons enfin que le Conseil d’État a répondu favorablement à la requête présentée par le parti de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, que la grille présentée par le ministre de l’Intérieur classait d’office dans la catégorie « extrême droite ». Il s’agit pour le Conseil d’État d’une « erreur manifeste d’appréciation », puisqu’il n’existe pas de « faisceau d’indices objectifs »  permettant ce classement. 
La circulaire est donc suspendue sur ces trois points. Le reste du texte – c’est-à-dire la nouvelle grille des nuances – ne présente pas de problème de légalité. 
Le ministère va-t-il publier un nouveau texte ? C’est très probable : l’ordonnance du Conseil d’État indique en effet que le ministère, à l’audience, a affirmé que la circulaire – qui jusqu’à présent n’a jamais été officiellement rendue publique – serait « prochainement publiée pour permettre son application lors de l’enregistrement des candidatures aux élections municipales ». La période d’enregistrement, dans la plupart des départements débutera le 10 février.

Franck Lemarc

Télécharger l’ordonnance du Conseil d’État.

Accéder au communiqué de presse.

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