Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 23 juin 2021
Élections

Gérald Darmanin se dit favorable à une reprise « en régie » de la distribution de la propagande électorale

Auditionné en urgence, ce matin, par la commission des lois sur Sénat, le ministre de l'Intérieur n'a pas cherché à minimiser les dysfonctionnements constatés sur la distribution de la propagande électorale, allant jusqu'à envisager la reprise en main par l'État de ce service. 

Par Franck Lemarc

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« Vous étiez prévenu en amont, nous sommes allés droit dans le mur en klaxonnant. L’État a failli. » « Ce ne sont pas des erreurs, c’est une faute. » « Défaillance sans précédent », « fiasco », « sinistre démocratique » … Dès 8 h du matin, au Sénat, le ministre de l’Intérieur a été confronté au feu roulant de critiques venues de sénateurs de tous bords politiques, et l’on peut dire qu’ils n’ont pas mâché leurs mots pour critiquer la responsabilité de la place Beauvau dans cette affaire. 

Plus de 8 millions de plis non distribués

Face aux critiques, le ministre de l’Intérieur n’a pas cherché à se défausser : « Y a-t-il eu des dysfonctionnements ? Oui. »  Sommé de donner des chiffres - après que sa ministre déléguée, Marlène Schiappa, eut provoqué dimanche soir une certaine stupéfaction en citant le chiffre de « 21 000 »  électeurs qui n’auraient pas reçu la propagande électorale, Gérald Darmanin s’est montré plus précis : ce chiffre de 21 000 est celui qui a été donné par Adrexo, la société en charge de la distribution dans la moitié des départements, et il est « manifestement sous-estimé ». De fait, selon le ministre, les deux prestataires, La Poste et Adrexo, font aujourd’hui état d’un même taux de « 9 % »  de non-distribution – La Poste n’étant, a précisé le ministre, « pas exempte de toute critique ». Mais il y a une différence majeure entre les deux : le taux de 9 % est à peu près harmonisé sur l’ensemble du territoire dans le cas de La Poste, alors que pour Adrexo, certains départements ont été particulièrement mal distribués, le chiffre de 9 % étant alors très largement dépassé. 

Quoi qu’il en soit, il faut rappeler qu’il y a presque 48 millions d’électeurs en France, et qu’en ajoutant les 9 % de La Poste aux 9 % d’Adrexo, on obtient quand même le chiffre ahurissant de 8,6 millions de plis non distribués !
Gérald Darmanin a toutefois relativisé ce chiffre en expliquant qu’il y avait un « taux résiduel »  de non-distribution, à chaque élection, qui serait de l’ordre de « 4 à 5 % », lié en partie « à des listes électorales parfois mal tenues », aux déménagements et décès de dernière minute, etc. 

Sous-traitance 

Il a toutefois reconnu « de sérieux manquements », dont les causes paraissent multiples. « Peut-être que le marché est tout simplement trop gros pour Adrexo », a-t-il expliqué. Une autre explication tient au recours très important à des prestataires par l’entreprise – avec au bout de la chaîne un recours très important à des intérimaires ou des CDD insuffisamment formés et, souvent, mis devant l’obligation d’accomplir une mission impossible. 

De ce point de vue, Maire info a reçu lundi le témoignage édifiant d’une élue, Stéphanie Dumoulin, maire de Chauffailles, en Saône-et-Loire. Cette maire explique que sa propre mère, comme bien d’autres dans la commune, a répondu à une offre d’emploi d’Adrexo pour distribuer la propagande électorale, avec pour mission d’effectuer cette tâche en « 17,5 heures », pour la moitié d’une commune de 3 777 habitants ! Confrontée à « un listing truffé d’erreurs »  (adresses erronées en particulier), cette personne a demandé à sa fille, maire de la commune, de l’aider, et elles ont dû finalement se mettre à quatre pour effectuer – en partie – cette mission… en quatre jours ! « Ma mère a rendu à Adrexo les plis non distribués (élections départementales), nous écrit la maire, et a dit qu'elle ne referait pas la distribution de la semaine suivante pour les régionales. À ma connaissance, au moins 4 autres personnes ont fait la même chose, et ces 4 autres personnes s'étaient également fait aider de proches pour mener à bien, ou disons du mieux possible, leur mission. » 

Lors de la séance de la commission des lois, ce matin, des sénateurs ont évoqué d’autres difficultés rencontrées par les salariés d’Adrexo, comme le fait que, contrairement aux facteurs, ils ne disposent pas de « pass »  pour entrer dans les immeubles. On peut d’ailleurs se demander si, du côté de La Poste, ce sont bien les facteurs qui assurent cette mission ou des intérimaires qui, des exemples le prouvent,  ne disposent pas non plus des « pass ». 

D’autres sénateurs ont soulevé la question des futures contestations : dans les cantons où la qualification pour le second tour s’est jouée à « quelques voix », comment affirmer que la non-réception du matériel électoral par des électeurs n’a pas été de nature à influer sur le résultat du vote ? L’avenir dira si certains candidats vont, ou non, contester le résultat sur cet argument, et quelle sera la réponse du juge de l’élection. 

Retour en régie ?

Pour l’avenir immédiat, Gérald Darmanin a affirmé que la première priorité était la réussite du second tour, et a rappelé que les prestataires se sont « engagés »  à ce que les dysfonctionnements soient, autant que possible, réglés. Ce qui paraît là encore mission impossible alors que le délai de distribution est infiniment plus contraint que pour le premier tour. 

Il a ensuite évoqué les décisions qui pourraient être prises à plus long terme. D’abord pour éviter une difficulté qui s’est posée lors de ce scrutin : certaines professions de foi ont été envoyées beaucoup trop en amont, plusieurs semaines avant l’élection, et, dans certains cas, en se télescopant avec celles de législatives partielles, d’où une « grande confusion »  chez certains électeurs. Gérald Darmanin a rappelé que le Code électoral ne fixe pas de date de début de la distribution, ce qui est « peut-être un problème »  et pourrait être « corrigé par la voie législative », afin que le matériel n’arrive pas trop tôt. Il a également rappelé que plusieurs propositions avaient été faites, par différents gouvernements, pour supprimer la propagande papier, et qu’elles avaient toujours été refusées par le législateur. 

Le ministre de l’Intérieur a estimé – comme bien d’autres l’ont fait avant lui – que le délai de « cinq jours ouvrés »  entre les deux tours, en vigueur en France pour toutes les élections en dehors de la présidentielle, « pose problème », et a suggéré de réfléchir à une évolution de la loi sur ce sujet, eu égard au « défi logistique »  que pose l’acheminement de la propagande en si peu de temps. 

Mais surtout, Gérald Darmanin a lâché devant la commission un petit scoop : il ne serait pas opposé à un retour de ce service en régie. Si ce sont bien des directives européennes qui ont imposé la mise en concurrence de la distribution du courrier, il ne lui paraît pas impossible que la distribution de la propagande électorale soit « sortie »  du dispositif, dans la mesure où il s’agit d’un service très particulier et d’intérêt général. « Si le Parlement décidait de revenir en régie », Gérald Darmanin estime donc que le ministère de l’Intérieur n’aurait aucune raison « de s’y opposer ». 

Ajoutons que dans ce cas, le gouvernement pourrait même directement prendre l’initiative, et proposer un projet de loi dans ce sens, plutôt que de s’en remettre au Parlement. Affaire à suivre. 

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