Maire-info
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Édition du jeudi 2 mai 2024
Ruralité

Mobilité dans les territoires ruraux : un constat préoccupant et des propositions

Le Secours catholique vient de publier un rapport sur la mobilité en milieu rural, qui insiste sur « l'urgence de changer de modèle dans ces territoires » : le manque de transports collectifs dans les territoires ruraux est une cause « d'enclavement » et de précarisation de la population. 

Par Franck Lemarc

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© Secours catholique

Au moment de la présentation de la loi d’orientation sur les mobilités (LOM), celle qui était alors ministre des Transports, Élisabeth Borne, avait inventé l’expression de « zones blanches de la mobilité »  – qu’elle avait promis d’éradiquer en créant des autorités organisatrices de la mobilité dans les zones rurales. Elle avait, alors, dénoncé « l’assignation à résidence »  de certains habitants des villages, privés de solution de transport collectif et enchainés à la voiture individuelle. 

Cinq après la LOM, où en est-on ? C’est la question que s’est posé le Secours catholique, qui a mené une large enquête en association, notamment, avec la Fédération des usagers de la bicyclette, la Croix-Rouge, Emmaüs, le Réseau action climat et France nature environnement. 

Désertifications

Avec au final la publication d’un rapport intitulé Territoires ruraux en panne de mobilité, qui s’ouvre sur un verbatim d’une habitante d’un village rural en situation de précarité : « Si personne ne vient me chercher en voiture, je ne peux rien faire. » « Être sans voiture dans ces territoires, c’est synonyme de renoncement, de précarisation, voire d’isolement social complet, car c’est toute la vie quotidienne qui est affectée : l’accès aux soins, à l’emploi, aux loisirs, à l’alimentation, etc. », écrit Véronique Devise, présidente du Secours catholique. Mais au-delà du constat, les auteurs du rapport veulent proposer des solutions, convaincus que « les territoires ruraux sont sources d’innovation et peuvent être des fers de lance de la transition écologique juste et accessible… pourvu qu’on leur en donne les moyens ». 

Les transports sont devenus « une source de précarité »  dans les territoires ruraux. 10 % des ménages ruraux précaires n’ont pas de voiture, selon l’enquête, et ceux qui en ont une « se retrouvent piégés par l’augmentation des prix du carburant ». En 2017 déjà – bien avant la forte poussée de l’inflation – « les 10 % de ménages français les plus modestes consacraient 21 % de leur revenu disponible aux transports, contre 11 % pour les 10 % les plus aisés ». 

Ces chiffres sont à rapprocher du fait que de plus en plus de communes sont privées de commerce et font les frais des reculs du service public. Les auteurs du rapport rappellent que 62 % des communes ne disposent plus d’aucun commerce (c’était 25 % en 1980), et que les médecins, les postes, les administrations, se concentrent de plus en plus dans les bourgs centres, rendant plus vital encore le fait de posséder une voiture. 

Les bonnes volontés ne manquent pas chez les élus, souligne le rapport, mais ils se heurtent à de multiples difficultés : flou sur les compétences de chacun des acteurs – « chaque niveau de collectivités a une ou plusieurs compétences affectant l’organisation des mobilités et l’aménagement du territoire, et la prise de compétence mobilité engage très peu la collectivité dans la mise en œuvre concrète de solutions »  –, manque de d’expertise et d’ingénierie, et surtout manque de moyens. Le rapport pointe « une absence de ressource pérennes pour la mobilité en milieu rural »  que la LOM n’a pas réglée. En effet le financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) repose sur le versement transport, mais celui-ci n’est exigible que des entreprises de plus de 10 salariés. Or un grand nombre de communautés de communes n’ont pas d’entreprises de cette taille sur leur territoire. Par ailleurs, la LOM a conditionné la perception du versement mobilité aux AOM qui organisent au moins un service régulier de transport de personnes, « ce qui exclut de facto nombre de communes rurales où l’organisation d’un tel service est extrêmement rare car trop coûteux justement, au vu du faible nombre d’usagers ». 

Développer l’offre

Le Secours catholique fait donc un certain nombre de propositions, dont beaucoup rejoignent celles des associations d’élus. Entre autres, sur la question de l’organisation, les auteurs du rapport demandent de « rouvrir la possibilité pour les communautés de communes de devenir AOM » . On se souvient en effet que ce choix, ouvert par la LOM, est aujourd’hui terminé : les communautés de communes qui ont décidé de ne pas prendre la compétence et de la transférer ne peuvent plus revenir en arrière, alors que le choix a été fait dans de mauvaises conditions, au sortir de la crise épidémique. Cette revendication est également portée par l’AMF et le Gart. 

Le Secours catholique demande également le développement de l’offre, d’abord au travers celui des infrastructures (par exemple en rouvrant petites lignes ferroviaires et petites gares), puis en offrant « un panel de solutions permettant un maillage plus fin des territoires et des habitants les plus éloignés des réseaux structurants »  (petits bus électriques, transport à la demande). En toute logique, il réclame également une politique volontariste à la fois des collectivités et de l’État pour faire revenir les services de proximité dans les petites communes, afin de « permettre aux habitants de sortir de la dépendance à la voiture ». 

Réengagement de l’État 

Sur le plan financier enfin, les rapporteurs proposent de « sortir de la logique d’appels à projets au profit d’un soutien financier régulier, via un programme de financement national » . Ils estiment que, notamment dans les AOM qui ne sont pas en mesure d’accéder au versement mobilité, l’État « doit se réengager dans le financement de la mobilité du quotidien ». 

Il est rappelé que le Sénat estime à « 700 millions d’euros par an »  les investissements nécessaires pour développer des services de mobilité durable en milieu rural, auxquels il faudrait ajouter « 3 milliards d’euros par an pour engager un véritable plan de relance ferroviaire », dont 700 millions pour régénérer les « petites lignes » . Sans compter les investissements nécessaires pour faire revenir, notamment, les commerces dans les villages. 

Même si l’heure est aux économies budgétaires (les auteurs du rapport rappellent que le décret du 27 février sur les coupes budgétaires a fait diminuer de 341 millions d’euros les budgets alloués aux infrastructures et services de transport), des solutions existent pour trouver de l’argent. Le rapport reprend notamment la proposition du Gart de mettre à contribution les sociétés d’autoroutes, de flécher sur ces dépenses une partie des recettes de la TICPE, et enfin une évolution du versement mobilité. Il est proposé de le déplafonner, de l’ouvrir aux AOM organisant un service non régulier, et de créer un mécanisme de « solidarité territoriale » , sous forme « d’un fonds national ou régional de péréquation pour en faire bénéficier les collectivités n’y ayant pas accès » . Cette dernière solution, toutefois, doit être regardée avec circonspection : si elle se fait à enveloppe constante, cette péréquation pourrait avoir comme conséquence de faire diminuer les recettes de certaines AOM, souvent déjà insuffisantes.  

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