Maire-info
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Édition du mardi 5 décembre 2023
Ruralité

Conflits de voisinage : une proposition de loi pour protéger les agriculteurs

Les députés ont adopté hier en première lecture une proposition de loi visant à « adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels ». L'antériorité des activités agricoles serait désormais prise en compte en cas de conflits avec le voisinage.

Par Lucile Bonnin

Des canards « trop bruyants »  à Soustons dans les Landes, des vaches dégageant « trop d’odeurs »  à Saint-Aubin-en-Brayque dans l’Oise, des bruits de tracteurs le jour et la nuit à Monlaur-Bernet dans le Gers… Selon la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), près de 500 agriculteurs feraient face à des procès intentés par des voisins.

Pour réguler ces conflits de voisinage et mettre un « terme aux procès abusifs contre nos agriculteurs qui ne font que leur métier : nous nourrir » , comme l’a indiqué le garde des Sceaux sur son compte X (twitter), une proposition de loi a été examinée ce lundi par l'Assemblée nationale.

Ce texte comprenant un article unique a été largement adopté par les députés. Le gouvernement a aussi engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.

Consacrer le « bien-vivre ensemble » 

« Ceux qui viennent s’installer dans la ruralité ne peuvent pas exiger que les paysans, qui sont des travailleurs, qui nous nourrissent, changent de mode de vie » , a déclaré le ministre Éric Dupond-Moretti lors d’une visite d’exploitation à Pleucadeuc dans le Morbihan.

C’est une petite musique qui revient depuis plusieurs années et a fortiori depuis la crise liée au covid-19 : les « néoruraux »  qui se sont installés dans les campagnes intentent de plus en plus de procès contre leurs voisins agriculteurs, incommodés par le bruit ou les odeurs. 

Ces conflits de voisinage ont parfois défrayé la chronique. Cela fut le cas pour l'affaire du coq Maurice sur l'île d'Oléron. Une plainte avait été déposée par un couple d’agriculteurs retraités, propriétaires d’une résidence de vacances sous prétexte que le coq de leur voisine chantait trop tôt le matin. 

À la suite de cette affaire, Pierre Morel-À-L'Huissier, député de la Lozère, avait déposé une proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (lire Maire info du 22 janvier 2021). Cette dernière a été adoptée et promulguée en janvier 2021. Malgré cette loi, les recours en justice à la campagne n’ont pas diminué. Le ministre de la Justice dénombre « 1 300 procès qui sont totalement inutiles ». 

Cette nouvelle proposition de loi est donc, selon le ministre, « un texte de bon sens, de concorde et qui consacre le bien-vivre ensemble ». « Ça protège ceux qui travaillent mais ça permet aussi de ne plus emboliser la justice ». 

Premier arrivé, premier servi 

L’article unique du texte de la proposition de loi consacre un principe simple : prendre en compte l'antériorité des exploitations agricoles pour limiter les possibilités de porter plainte pour « trouble du voisinage » . Ainsi, « la responsabilité (…) n’est pas engagée lorsque le trouble anormal causé à la personne lésée provient d’activités, quelles que soient leur nature, préexistantes à son installation, qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions et qui sont conformes aux lois et règlements ». 

Interrogée par France info, la rapporteure du texte Nicole Le Peih, députée du Morbihan, indique que la proposition de loi « demande donc une exception qui est l'antériorité de l'activité : qu'elles soient agricoles, industrielles, sportives même, toutes les activités existant déjà, c'est-à-dire dont l'existence de l'activité économique était là avant que le plaignant n'engage une poursuite, sont confortées. Il faut insister sur le fait que c'est bien en accord avec la réglementation ».

À l’occasion de son examen en commission, Nicole le Peih a expliqué percevoir « deux mérites »  dans cette proposition de loi : « Elle inscrit dans le Code civil une construction jurisprudentielle pour rendre le droit plus lisible et accessible à l’ensemble de nos concitoyens ; elle élargit la clause exonératoire de responsabilité sans pour autant donner un blanc-seing aux responsables de troubles anormaux du voisinage » . Concrètement, « un acquéreur doit s’être renseigné ; sinon, il peut se voir opposer l’antériorité de l’exploitation voisine en cas de trouble anormal de voisinage ».

Pas uniquement à la campagne 

Cette année, la presse locale avait fait écho d’un cas encore plus particulier. Dans la commune d’Erquy dans les Côtes-d'Armor, deux crêpiers se sont retrouvés au tribunal face à leur voisin car « la crêperie sent beaucoup trop la crêpe » ... Les conflits ne sont pas l’apanage des campagnes et de ceux que l’on désigne comme « néoruraux ». 

Il est important de souligner que, selon le ministre de la Justice, le texte concerne aussi les conflits de voisinages en ville : « Si vous achetez un appartement au-dessus d'un magasin qui génère des nuisances sonores, tant pis, car ce que nous voulons, c'est une prime à ceux qui travaillent. Vous aviez connaissance des nuisances et vous acceptez donc ceux qui travaillent et un certain nombre de désagréments. » 

Les limites du texte 

Le texte a été adopté à l’Assemblée par 78 voix pour, 12 contre et 3 abstentions. Pour la FNSEA, « le texte (…) ne couvre pas les évolutions attendues des exploitations agricoles, comme la mise aux normes existantes et à venir en termes de développement économique et environnemental » . La Fédération déplore « l’impasse »  qui a été faite « sur des dispositions accompagnant le développement des activités agricoles des territoires ».

Interrogé au micro de France info, Timothée Dufour, avocat de plusieurs agriculteurs concernés par des plaintes raconte d’ailleurs que « la plupart des litiges aujourd'hui en milieu rural naissent suite à un agrandissement, une mise aux normes ou une augmentation de cheptel », « et la proposition de loi aujourd'hui ne prend pas en compte l'évolution ou plutôt la continuité de l'exploitation. » 

D’autres s’inquiètent que ce texte puisse instaurer in fine « un véritable droit à polluer dans la mesure où il permet aux exploitants de poursuivre une activité nuisible sans que leur responsabilité puisse être engagée » , comme l’a soulevé en commission le député de Savoie Jean-François Coulomme. Sur cette question la rapporteure rappelle que le texte ne change pas « le code constitutionnel »  et que « donc le recours est toujours possible ».

Le texte poursuivra prochainement son parcours législatif au Sénat. 

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