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Édition du mardi 12 septembre 2023
Ecole

Inégalités scolaires : l'école peine à atténuer le rôle déterminant de l'origine sociale

En France, l'école « peine à déjouer le rôle exercé par l'origine sociale, le sexe et l'ascendance migratoire sur les performances et les parcours des élèves », constate France Stratégie qui pointe une « fabrique des inégalités [qui] se fait tout le long de la scolarité ». Elle appelle à se questionner sur le « ciblage des politiques de lutte contre les inégalités scolaires ».

Par A.W.

L’ascendance migratoire, le genre, mais surtout l’origine sociale déterminent les trajectoires scolaires des élèves français, sans que l’école n’arrive significativement à réduire les inégalités qui se construisent à travers « des mécanismes d’accumulation », de la petite enfance jusqu’à l’entrée dans l’enseignement supérieur. C’est la conclusion de France Stratégie, dans une étude publiée la semaine dernière, dans lesquels le service de prospective rattaché à Matignon présente « un panorama inédit »  des parcours scolaires.

« La fabrique des inégalités se fait tout le long de la scolarité, selon un processus de sédimentation, auquel chaque étape contribue avec ses modalités propres », constatent les auteurs de l’étude.

De la crèche à la sortie du lycée

D'après eux, le fondement de ces inégalités commence dès la petite enfance, au sein de l’environnement familial mais aussi au travers de l’accès aux crèches, deux endroits où s’acquièrent « des aptitudes qui influent durablement sur les futures trajectoires scolaires et professionnelles ». Et bien que les apports des crèches bénéficient le plus aux enfants qui vivent dans des foyers à faibles revenus, ce sont pourtant ces derniers qui « y sont le moins inscrits ». 

Si la maternelle permet de réduire une partie des écarts entre les élèves des différentes catégories sociales, les écarts vont de nouveau se creuser en primaire puisque si « la moitié seulement des écarts à la fin de l’école primaire »  existait déjà à l’entrée au CP, « l’autre moitié résulte de disparités apparues entre le CP et le CM2 ». Ainsi, l’école primaire constitue une étape importante de « la cristallisation des trajectoires ».

Ensuite, les inégalités vont « décanter »  et s’accélérer au collège qui , « bien qu’unique », prépare les futures bifurcations avec « la surreprésentation massive des élèves des classes populaires – en particulier des garçons »  dans les classes spécialisées (notamment Segpa) quand celle des enfants favorisés et des filles l’est « dans les options ou sections destinées aux bons élèves (latin, sections européennes, etc.) », explique France Stratégie, qui évoque des « phénomènes de ségrégation sociale et scolaire ». Alors qu’ils progressaient « davantage que les autres »  au primaire, les enfants issus de l’immigration voient leur position « se dégrader ».

Les orientations en fin de troisième viendront amplifier des divergences fortement corrélées aux origines et au sexe : « Près de 80 % des élèves d’origine favorisée, 61 % des filles, 55 % des enfants de natifs entrent en seconde générale et technologique, contre 35 % des élèves d’origine modeste, 48 % des garçons et 47 % des enfants d’immigrés », relèvent les auteurs de l’étude, qui poursuivent : « Au lycée, la réussite reste dépendante de l’origine et du genre, et ce quelle que soit la filière. Non seulement les enfants des catégories populaires et les garçons passent moins souvent le baccalauréat, et en particulier le bac général, mais ils le réussissent moins bien. Le deuxième cycle de l’enseignement secondaire représente, pour près de la moitié d’une classe d’âge dans laquelle sont surreprésentés les garçons et les enfants des catégories modestes, la fin du parcours scolaire. » 

« La transition vers l’enseignement supérieur viendra parachever la construction scolaire des inégalités de chances », conclut France stratégie.

Le rôle majeur de l’origine sociale 

Reste que, selon le service de Matignon, l’origine sociale est « de loin »  le facteur le plus influent dans les trajectoires scolaires. Ainsi, sept ans après leur entrée en 6e, près des deux tiers (64,2 %) des élèves des catégories socialement favorisées entreprennent des études supérieures, contre un peu plus d’un quart (27,5 %) parmi les enfants de familles modestes. À l’inverse, en fin de 3e déjà, « seuls 10 % des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures par exemple figurent parmi le quart des élèves qui réussissent le moins bien, contre environ un tiers des enfants d’ouvriers ».

Les auteurs observent même que « la dépendance de la réussite scolaire au milieu socioéconomique et culturel des élèves figure parmi les plus élevées de l’OCDE ». Résultat, « même avec de bons résultats en début de scolarité, les enfants de familles modestes ont des parcours plus heurtés aux débouchés moins favorables ». 

Globalement, « les enfants des familles socialement favorisées ont des scolarités plus longues, redoublent moins, sortent nettement moins souvent précocement du système scolaire, choisissent des orientations perçues comme plus "rentables" et compensent davantage d’éventuelles difficultés ».

L’écart filles-garçons moins prononcé qu’ailleurs

S’agissant du critère de genre, les écarts entre filles et garçons y sont plutôt moins prononcés que dans d’autres pays et que ceux liés à l’origine sociale. Mais à l’avantage des premières.

Les performances et résultats moyens des filles sont ainsi supérieurs à ceux des garçons « de manière constante », et « dès avant le début de la scolarité ». « À l’âge de 4-5 ans, les filles disposent déjà d’un socle de compétences plus solide que les garçons, en littératie* comme dans la plupart de compétences sociocomportementales », explique France Stratégie qui note que « les filles et les garçons, quels que soient leur milieu social et leur origine migratoire, connaissent des trajectoires scolaires aux débouchés nettement différenciés ». 

Résultat, sept ans après leur entrée en 6e, près de la moitié des filles entreprennent des études supérieures, mais à peine plus d’un tiers pour les garçons. Cependant, si « les filles ont en moyenne de meilleurs résultats, [elles] s’orientent dans des parcours moins valorisés sur le marché du travail »  ce qui conduit à « une nette sous-représentation »  dans les filières scientifiques et industrielles, mais aussi en classes préparatoires.

Ascendance migratoire : un poids presque « inexistant » 

Enfin, les écarts qui séparent les enfants d’immigrés et de natifs sont « très faibles, voire inexistants », selon France stratégie.

Bien que leurs performances scolaires sont en moyenne « plus fragiles »  et leurs trajectoires moins favorables que celles des autres élèves, le poids de l’ascendance migratoire reste « modéré ». En effet, sept ans après leur entrée en 6e, 43 % des enfants de natifs entreprennent des études supérieures, pour 38 % des enfants d’immigrés.

En fait, « la trajectoire scolaire des enfants d’immigrés s’explique d’abord, comme pour les autres élèves, par les caractéristiques sociales de leurs parents ». « A origine sociale et familiale et contexte de scolarisation comparables, les désavantages des enfants d’immigrés en termes de performances s’estompent, voire disparaissent », estime France Stratégie.

Alors que le gouvernement est confronté au retour du problème du manque d’enseignants, le rapport conclut que « l’école en France peine à déjouer le rôle exercé par l’origine sociale, le sexe et l’ascendance migratoire sur les performances et les parcours des élèves ». Une mise en perspective qui appelle « une réflexion sur les politiques publiques », et notamment sur le « ciblage des politiques de lutte contre les inégalités scolaires, tant du point de vue de leur temporalité que des publics qu’elles visent », juge France stratégie, qui publiera, fin septembre, un rapport relatif aux politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes.

Télécharger la synthèse.

 

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