Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 29 juin 2017
Vie publique

Les sénateurs vent debout contre certaines mesures du projet de loi de moralisation

L’examen des projets de loi rétablissant la confiance dans l’action publique a commencé avant-hier au Sénat avec l'audition, par la commission des lois, de la nouvelle ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Les sénateurs ont particulièrement insisté sur deux points : la suppression de la réserve parlementaire et l’interdiction de cumuler plus de trois mandats successifs.
Rappelons que ces textes proposent entre autres de supprimer la réserve parlementaire et d’interdire les emplois familiaux au sein des cabinets, y compris dans les collectivités (lire Maire info des 2 et 15 juin). Un troisième projet de loi, celui-ci constitutionnel, sera présenté à l’automne pour proposer l’interdiction d’effectuer « plus de trois mandats identiques et successifs ».
Lors de la présentation de ses projets de loi à la presse, l’ancien ministre de la Justice, François Bayrou, avait expliqué que certes, la réserve parlementaire allait être supprimée, mais qu’un montant équivalent serait consacré à abonder « un fonds d’action pour les territoires, notamment ruraux, les petites communes ». Problème : ceci ne figure pas dans le projet de loi déposé au Sénat. Plusieurs sénateurs ont donc interrogé la ministre sur ce sujet, en demandant ou bien que la réserve parlementaire soit maintenue, ou bien que l’idée de ce fonds soit rétablie. Alain Richard a rappelé que les réserves parlementaires représentaient 140 millions d’euros, qui vont « essentiellement aux territoires ruraux »  ; Daniel Chasseing a insisté sur le fait que l’on parle là « de subventions d’investissement, transparentes et contrôlées, qui sont très utiles aux petites communes. Il n’y a là ni opacité, ni clientélisme. »  Il a proposé un nouveau dispositif (qu’il devrait défendre par amendement) : réunir les réserves parlementaires des députés et des sénateurs, dans chaque département, et décider de leur affectation dans une commission départementale sous l’égide du préfet « et des représentants de l’Association des maires ». Le sénateur Michel Raison est allé dans le même sens, avec véhémence : « Après avoir dépouillé les communes d’une part importante de leur dotation, l’État veut encore leur retirer ces sommes ? ».
La ministre a reconnu le fait que la première proposition ne figure plus dans le projet de loi. « À ce stade, je ne peux pas m’engager sur ce qu’a dit François Bayrou : les arbitrages ne sont pas rendus. Il y a des hésitations entre une affectation soit à un fonds territorialement orienté, soit vers des fonds autour de politiques plus transversales, comme la politique pour les handicapés, par exemple », a expliquéNicole Belloubet.
La question des emplois familiaux a également été abordée par plusieurs sénateurs, notamment sur la question du coût que représenteront les licenciements pour les collectivités, et le caractère jugé trop « flou »  de la notion de « collaborateur de cabinet ». Plusieurs sénateurs ont demandé pourquoi le gouvernement choisissait d’interdire les collaborateurs familiaux plutôt que de se donner les moyens de mieux contrôler « l’effectivité de leur travail ».
Enfin, la question de l’interdiction du cumul de plus de trois mandats dans le temps a fait vivement réagir les sénateurs. Même si cette disposition ne figure pas dans les deux textes déposés au Sénat, elle préoccupe suffisamment les sénateurs pour que plusieurs d’entre eux le fassent savoir sans ambages à la ministre. Alain Vasselle a d’abord demandé quel serait le seuil retenu, puisqu’il a été annoncé que cette mesure ne toucherait pas les « petites communes ». À titre « personnel », la garde des Sceaux a évoqué le chiffre de 3 500 habitants, mais sans s’engager. Roher Karoutchi a longuement développé son opposition à cette mesure, soulignant qu’elle allait être, apparemment, « rétroactive », puisqu’il est envisagé qu’elle s’applique dès les élections municipales de 2020. « On va alors dire à un maire : ‘’Tu termines ton troisième mandat ? Tu ne peux pas te représenter !’’ Alors qu’il est en ce moment en train de lancer des politiques publiques sur les 5 ou 7 prochaines années. »  Et Roger Karoutchi a conclu : « Il faut trouver une solution pour que ça ne tombe pas comme un couperet en 2020. »  Michel Raison a estimé cette mesure « carrément ridicule ». « Cela ne me choque pas qu’on limite le nombre de mandats pour les parlementaires. Mais un maire ? Quand il ne fait pas bien son travail, il est éliminé à l’élection suivante ! » 
Même le président de la commission des lois, Philippe Bas, a pris la parole, de façon plus feutrée, pour demander au gouvernement de réfléchir à ce qu’aurait été l’histoire de France si cette mesure avait été appliquée depuis 150 ans. « Imaginez le Front Populaire sans Léon Blum, la République sans Poincaré, Clemenceau, Jacques Chirac. » 
Nicole Belloubet n’a pas souhaité répondre sur ces questions, dans la mesure où elles concernent un autre projet de loi, mais elle a dit avoir « entendu »  les critiques des sénateurs et s’est engagée à « en faire état au Premier ministre ».
Hier, des représentants des associations nationales d’élus locaux ont également été auditionnés par la commission. Plusieurs d’entre eux, dont Philippe Laurent pour l’AMF, ont également regretté le projet de supprimer la réserve parlementaire, qui est une source de financement non négligeable pour les petites communes… et précisément au moment où le système a été réformé pour devenir réellement transparent, avec la publication sur internet de toutes les subventions.
F.L.
Accéder à la vidéo de la séance.

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