Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 1er février 2019
Ecole

Refus de scolarisation dans une commune : le Conseil d'État rappelle dans quelles conditions l'État est jugé responsable

Le Conseil d’État vient de publier une décision concernant un refus de scolarisation d’enfants d’origine Rom par une commune de l’Essonne, en 2013. S’il confirme qu’il y a bien eu manquement à la loi de la part de la commune, il estime en revanche – contrairement à une décision antérieure du tribunal administratif – que c’est à l’État de payer les dommages et intérêts aux parents et non à la commune.

Rappel des faits
Cette affaire avait été assez largement médiatisée à l’époque. Résidant sur le territoire de cette commune depuis l’été 2012, dans un campement illicite, les parents de deux enfants âgés de 7 et 9 ans avaient demandé au maire de les inscrire dans une école de la commune. Le maire avait refusé la scolarisation : « Si je domicilie ces enfants et que je les scolarise dans ma ville, je valide le fait qu’ils habitent dans un bidonville, et cela je le refuse », déclarait-il alors. Il avait ensuite prononcé leur admission, mais à condition de les scolariser à part, dans une classe aménagée en dehors d’un établissement scolaire. À la suite de cette décision, douze enfants issus du même campement avaient été scolarisés dans une salle attenante au gymnase municipal. Les parents des deux enfants avaient alors demandé au juge des référés de Versailles de condamner l’État et la commune à l’indemnisation de leur préjudice moral.
Saisi par plusieurs associations, le Défenseur des Droits avait présenté des observations devant le tribunal administratif, concluant à « une grave atteinte au droit des enfants ». Le 19 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles allait dans le même sens. Non seulement il annulait la décision du maire de scolariser les enfants à part, mais il estimait que la charge des dommages et intérêts incombait uniquement à la commune et non à l’État : « La décision prise par le maire (…) est insusceptible de se rattacher à l’exercice des pouvoirs que la commune exerce au nom de l’État. » 

Que dit la loi ?
On le sait, en France, « L’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ». Les responsables légaux doivent ainsi inscrire leurs enfants soumis à l’obligation scolaire dans un établissement scolaire public ou privé, ou déclarer au maire et au directeur académique qu’ils lui feront donner l’instruction dans la famille, d’après l’article L. 131-5 du code de l’éducation. De son côté, le maire est responsable des inscriptions scolaires dans les écoles primaires. L’article L. 131-6 du Code de l’éducation rappelle que « chaque année, à la rentrée scolaire, le maire dresse la liste de tous les enfants résidant dans sa commune et qui sont soumis à l’obligation scolaire ».
Mais, pour autant, la scolarisation sur sa commune d’enfants habitant dans un campement occupant illégalement un terrain et présentant des risques d’insalubrité, est-elle vraiment obligatoire ? La réponse est oui. « Tenir ces enfants roms à l’écart des autres enfants scolarisés dans la commune et les priver de l’accès aux services scolaires »  est illégal, avait donc jugé le juge des référés dans cette affaire, condamnant la commune à verser 2 000 euros aux parents des deux enfants « au titre du préjudice moral ».
À l’époque des faits, la circulaire n° 2012-142 du 2 octobre 2012 avait déjà rappelé le droit de scolarisation des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs dans les mêmes conditions que les autres enfants, quelles que soient la durée et les modalités du stationnement et de l’habitat.
Depuis, la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a modifié l’article L. 131-5 du Code de l’éducation en précisant que « le statut ou le mode d'habitat des familles installées sur le territoire de la commune ne peut être une cause de refus d'inscription d'un enfant soumis à l'obligation scolaire. Lorsque la famille n'a pas de domicile stable, l'inscription dans un établissement public ou privé peut être cumulée avec l'inscription auprès du service public du numérique éducatif et de l'enseignement à distance prévu à l'article L. 131-2. » 


L’État responsable
Le Conseil d’État, saisi par la commune de la légalité de cette ordonnance, a annulé le 19 décembre la décision du tribunal administratif de Versailles. Il ne remet pas en cause l’aspect illégal de la décision du maire, mais le fait que le tribunal ait condamné la commune, et non l’État, à payer : il s’agit d’une « erreur de droit »  qui conduit directement à annuler la décision, « sans qu’il soit besoin d’examiner »  les autres arguments.
Explication : le Conseil d’État distingue deux situations auxquelles peut être confronté le maire d’une commune. La première est celle d’un « refus d’admission dans une école primaire particulière de la commune », dont l’illégalité n’engage que la responsabilité de la commune. Cette décision revient à refuser la scolarisation d’un enfant dans une école précise et non à refuser de scolariser l’enfant sur la commune. La seconde situation est, pour le Conseil d’État, celle qui nous occupe. En l’espèce, le maire a refusé de scolariser les enfants « dans sa ville ». C’est donc « à raison de sa généralité (…) un refus d’inscription sur la liste des enfants qui, résidant dans la commune (…), étaient soumis à l’obligation scolaire », précise le Conseil d’État. Or, rappelle la haute juridiction, « lorsqu’il dresse la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l’obligation scolaire, le maire agit au nom de l’État ». Dès lors, la décision illégale du maire de refuser de scolariser des enfants qui résident sur sa commune (même en campement), ne pourra « engager que la responsabilité de l’État ».
G.d.L.
Accéder à la décision du Conseil d’État.
Télécharger les observations du Défenseur des droits.
Télécharger la décision du tribunal administratif.

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