Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 31 mai 2023
Emploi

Projet de loi « Plein emploi » : pourquoi les représentants des élus ont donné un avis défavorable

Le projet de loi Plein emploi a été présenté, jeudi dernier, au Conseil national d'évaluation des normes, où il a fait l'objet d'une pluie de critiques de la part des représentants des élus. Ceux-ci ont, très majoritairement, donné un avis défavorable au texte, eu égard aux nombreuses incertitudes et motifs d'inquiétude qu'il contient encore. 

Par Franck Lemarc

Ce projet de loi comprend de nombreuses mesures visant, aux dires du gouvernement, à « moderniser le marché du travail, répondre aux tensions de recrutement et améliorer l’offre de services aux entreprises ».

Les dispositions les plus commentées, dans les médias, sont celles qui concernent les allocataires du RSA, dont les auteurs du texte veulent « améliorer l’effectivité des droits et des devoirs ». Mais une importante partie du texte concerne la réorganisation et la gouvernance du réseau France travail, prévoyant la mise en œuvre d’une instance unique, « France Travail », regroupant Pôle emploi, les missions locales et les Cap emploi (accompagnement des demandeurs d’emploi en situation de handicap). Il est à noter que le projet de loi précise que Pôle emploi va changer de nom pour s’appeler également… France travail. Ces termes désigneront donc à la fois l’agence nationale chargée du suivi des demandeurs d’emploi, et l’ensemble du réseau, ce qui pose un certain nombre de problèmes. 

Concertation insuffisante

C’est d’abord sur la forme que les représentants des élus au Cnen (Conseil national d’évaluation des normes) ont critiqué le gouvernement : une fois encore, ce texte a été examiné selon la procédure d’urgence, ce qui, d’après les représentants des élus, n’est nullement justifié, en l’absence de « circonstances exceptionnelles ». Cette précipitation, ont-ils expliqué, est de nature à détériorer « la qualité du droit » : « En effet, le temps nécessaire à l'articulation et à la coopération entre les échelons territoriaux pour examiner un tel projet de texte est rendu impossible en raison des délais impartis dans le cadre de la consultation ». 

Les représentants des régions, par ailleurs, ont pointé « l’absence de concertation »  avec celles-ci, qui sont pourtant concernées au premier chef, dans la mesure où elles ont la compétence formation professionnelle. Les régions disent avoir eu connaissance du contenu du projet de loi « par voie de presse », et n’avoir eu communication du texte lui-même que « quelques jours avant la séance du Cnen ». 

Recentralisation

Les représentants des élus communaux ont vivement critiqué l’article 4 du projet de texte, consacré à la gouvernance du réseau France travail, considérant notamment que « le bloc communal est insuffisamment associé au pilotage territorial de France Travail et à sa gouvernance ». Le texte prévoit en effet que les « comités locaux France travail », mis en place par les préfets de région, le soient « sans consultation des représentants des communes et des intercommunalités ». Les maires et présidents d’intercommunalité y seraient en outre « insuffisamment représentés ». Par ailleurs, le projet de texte ne prend que trop peu en compte, aux yeux des élus, les initiatives locales pour l’emploi prises par les maires. 

Les représentants des régions, quant à eux, ont estimé que ce texte est « recentralisateur ». Ils ont, comme beaucoup, fustigé le fait que l’opérateur et le réseau portent tous deux le nom de France travail, homonymie qui « alimente le risque d’une confusion ». Ils ont enfin regretté que le projet de texte « ne donne pas les garanties attendues sur le respect des compétences des régions en matière de formation, d'orientation et de développement économique », et demandé que les régions co-président, avec l’État, les comités régionaux de France travail. 

Impact financier

Les représentants des élus ne sont pas plus enthousiastes en ce qui concerne le devenir des missions locales, appelées à ne devenir qu’une branche du réseau France travail, sous la dénomination « d’opérateur spécialisé ». Ce qui, estime l’AMF, « peut s’apparenter à une tutelle de l’État sur ces structures, présidées par des maires et financées en partie par les communes et intercommunalités ». 

Les représentants des élus se sont aussi inquiétés de l’impact financier de la réforme, dans la mesure où de nombreux investissements vont être nécessaires, « que ce soit en matière de ressources humaines, de refonte des lieux d’accueil ou de transformation des systèmes informatiques ». L’étude d’impact menée par le gouvernement s’avère insuffisante, et ne permet pas de quantifier réellement les coûts. L’AMF craint par ailleurs « que la mise en place du réseau France Travail n’entraine une baisse de financements des dispositifs d’emploi et d’insertion mis en place par le bloc communal ». 

Petite enfance

Enfin, la délicate question de la petite enfance a été abordée devant le Cnen (lire Maire info du 25 mai). Rappelons que le projet de loi prévoit de confier aux communes le rôle d’autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant. Pourquoi une telle mesure, peut-on se demander, dans un texte sur l’emploi ? Tout simplement parce que l’offre et la qualité de l’accueil du jeune enfant sont déterminantes pour permettre aux parents, et plus particulièrement aux mères, de retrouver du travail. 

Les représentants des communes sont bien entendus favorables à la reconnaissance par la loi de la commune comme autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant. Mais, devant le Cnen, ils ont regretté l’absence de toute visibilité sur les modalités financières de compensation de la création de ces nouvelles compétences ainsi que les aides de la Cnaf pour la prochaine Convention d’objectifs et de gestion 2023-2027, toujours en cours de négociation. ils ont fait part de leurs inquiétudes sur « les modalités de mise en œuvre effective de cette réforme, notamment sur le plan de la pénurie de professionnels et sur ses conséquences financières ». L’AMF réitère donc sa demande de « compensation intégrale des dépenses générées par ces nouvelles obligations »  ainsi que d'une « évolution des modalités de cofinancement de la Cnaf concernant les établissements et services à destination des familles ». 

Les élus de l’AMF ont également répété leur opposition à la disposition prévue par le texte qui permettrait un « pouvoir de substitution »  par le préfet au titre de son mandat de président du comité départemental de services aux familles, dans le cas où les communes ne tiendraient par leurs obligations en matière de définition d’un schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant. 

Enfin, parmi d’autres critiques, l’AMF regrette que le projet de loi ne prévoie pas, comme elle l’avait souhaité, un transfert « à la carte »  des missions de l'autorité organisatrice vers l’intercommunalité, et qu’il privilégie une approche « en bloc »  de l’ensemble des compétences de l’autorité organisatrice. « Une telle rédaction s’inscrit en contradiction avec (…) la volonté des élus locaux de disposer davantage de liberté dans l’organisation des relations communes-EPCI ». 

Au final, et logiquement au vu de ces nombreuses incertitudes, 8 représentants des élus sur 9 ont émis un avis défavorable sur ce projet de texte. L’AMF espère maintenant que le débat parlementaire et les échanges prévus avec le gouvernement permettront de faire avancer les choses et de lever les points de blocage. La présentation officielle du texte en Conseil des ministres devrait avoir lieu au début du mois de juin. 

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