Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 17 mai 2019

Référendum ADP : le gouvernement demande au Conseil constitutionnel « d'interrompre » la procédure

Le Conseil constitutionnel a rendu, hier, sa décision sur la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). S’ils ont censuré quelques articles, les Sages ont néanmoins déclaré la loi, dans son ensemble, conforme à la Constitution, ce qui crée une situation originale eu égard à la procédure référendaire lancée récemment sur la question de la privatisation d’Aéroports de Paris.
Il faut d’abord retenir que le Conseil constitutionnel a invalidé l’article 17 du texte, non sur le fond mais sur sa procédure d’adoption. Cela n’est pas sans importance, car c’est cet article qui interdit, à partir du 1er janvier 2020, l’usage du plastique pour les gobelets, verres et assiettes jetables ; et à partir du 1er janvier 2021 pour les pailles, piques à steak, couvercles de gobelets et autres « bâtonnets mélangeurs ». Si les Sages n’ont pas exprimé de désaccord sur le fond, ils ont jugé que ces dispositions constituaient un « cavalier »  législatif, c’est-à-dire qu’elles étaient sans lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi. Elles devront être ôtées de la loi lors de sa promulgation.

Procédure référendaire : imbroglio constitutionnel
En revanche, les Sages ont entièrement validé les articles de la loi organisant la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), sur la forme comme sur le fond. Les députés et sénateurs qui avaient saisi le Conseil constitutionnel sur cette question avaient plaidé l’inconstitutionnalité de cette mesure, au motif que le préambule de la Constitution de 1946 interdit la privatisation d’une entreprise « ayant le caractère d’un monopole de fait ou d’un service public national ». Les Sages ont rejeté ces arguments : il n’y a pas de situation de monopole, dans la mesure où ADP « est en situation de concurrence avec les autres aéroports régionaux ». L’entreprise ne peut donc être considérée en situation de monopole au sens que donnait à ce terme le législateur en 1946, pour des entreprises, à l’époque, comme la SNCF ou EDF.
De même, pour le Conseil, ADP ne peut être qualifié de « service public national », d’abord parce qu’aucun texte législatif ne le prévoit, et d’autre part parce que les trois aéroports de Paris (Roissy, Orly et Le Bourget) ne constituent pas un service aéroportuaire « national », précisément parce qu’ils ne sont qu’en région parisienne.
Conclusion claire des Sages : la privatisation d’ADP n’est contraire à aucun principe de la Constitution.
Voici qui ouvre une situation fort compliquée. En effet, maintenant que ces dispositions sont validées, rien ne fait obstacle à la promulgation de la loi : elle est même une obligation constitutionnelle, quinze jours maximum après son adoption par le Parlement ou la validation du Conseil constitutionnel, le cas échéant. Le gouvernement va donc incessamment promulguer la loi. Qu’adviendra-t-il alors du processus référendaire initié par l’opposition sur sa propre proposition de loi, proposant de définir ADP comme un « service public national »  (lire Maire info du 10 mai 2019). Pour le gouvernement, la réponse est claire : la procédure doit être « interrompue ».

Question du Premier ministre, réponse sèche de Laurent Fabius
C’est l’objet d’une lettre que le Premier ministre vient de faire parvenir au président du Conseil constitutionnel, dans laquelle Édouard Philippe tente une ultime démarche pour tenter d’empêcher l’organisation du référendum d’initiative partagée (RIP). Le Premier ministre rappelle qu’il est clairement inscrit dans la Constitution qu’un RIP ne peut être organisé pour contester « une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». Certes, lorsque le Conseil constitutionnel a validé le texte qui pourrait être soumis à un RIP (s’il obtient les 4,7 millions de soutiens nécessaires), la loi n’était pas promulguée. Mais aujourd’hui, les Sages ayant validé le texte, le président de la République n’a que deux possibilités : ou bien promulguer immédiatement la loi ; ou bien, comme la Constitution l’y autorise, exiger du Parlement une nouvelle délibération sur celle-ci. Il est clair, à la lecture du courrier du Premier ministre, que le président de la République n’a pas l’intention de choisir cette voie. La loi va être promulguée et dès cet instant, plaide Édouard Philippe, la proposition de loi soumise à RIP deviendra inconstitutionnelle, puisque remettant en cause une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ».
Dans ces conditions, le gouvernement estime que le Conseil constitutionnel doit statuer pour que la procédure de recueil des soutiens en vue de l’organisation d’un RIP, dès la promulgation de la loi, soit « interrompue ».
Dans un bref communiqué publié hier soir, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a commencé à répondre – et sa réponse ne devrait guère laisser d’espoir au gouvernement. Pour Laurent Fabius, le Conseil constitutionnel s’en est tenu « à la lettre de la Constitution », ce qui est « sa mission » : à la date à laquelle il a statué sur la proposition de loi présentée dans le cadre de la procédure du RIP, la loi Pacte n’avait été « ni votée ni promulguée, même s’il s’en fallait de peu ». « On peut être favorable ou critique envers ces dispositions, elles sont rédigées ainsi », déclare sèchement Laurent Fabius. Avant d’enfoncer le clou : « La circonstance que, compte tenu du lancement de la procédure du RIP, (la) privatisation puisse en fait être rendue plus difficile peut sans doute donner matière à réflexion sur la manière dont cette procédure a été conçue, mais nul ne saurait ignorer la lettre de la Constitution et de la loi organique que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter. » 
Affaire à suivre.
Franck Lemarc

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